La sécurité sociale : un passé. Un présent. Un avenir ?

Par Maxime ROSSIGNOL le 6 décembre 2010

Pour ce nouveau bulletin, intitulé « les Miracles de la Santé » Dijon-Santé.fr s’est intéressé à un miracle bien français, celui de la protection sociale. Pourquoi ? Comment ? Combien de temps encore ? Notre équipe vous présente l’interview de Monsieur Pierre Routhier, Directeur de la Caisse Primaire d’Assurance Maladie de la Côte d’Or.

Dijon-Santé.fr : Les Français, et plus particulièrement les Bourguignons, peuvent ils être satisfaits de leur protection sociale ?
Pierre ROUTHIER : En 65 ans d’existence, la sécurité sociale s’est inscrite dans le paysage : avoir des allocations familiales, une retraite, des indemnités journalières ou accéder aux médecins ou établissements de santé facilement.
Avec la carte Vitale, c’est le plus souvent sans avoir à assumer le coût. Tout cela apparaît comme normal.
On oublie trop souvent qu’avant 1945, la perte de la capacité de gagner sa vie liée aux naissances, à la maladie ou à la vieillesse était une véritable catastrophe et pouvait, malgré les solidarités familiales, plonger dans la misère toute une famille.
Les Français peuvent donc être fiers de leur protection sociale tout en restant vigilants sur son évolution. Chaque euro investi dans la santé doit être un euro utilement dépensé, c’est la mission de l’Assurance Maladie que d’y veiller pour le compte des assurés sociaux, et avec leur concours.
Dijon-Santé.fr : Malgré un large déficit, l’Assurance Maladie continue d’exister, pouvons nous parler de survie ou de miracle ?
Pierre ROUTHIER : Il est vrai que les déficits s’accumulent au fil des années pour atteindre 100 milliards d’euros fin 2009. Ces déficits ont longtemps été liés à une maîtrise insuffisante de la dépense. Avec la crise financière de l’automne 2008, ce sont les recettes qui s’effondrent. Les dépenses sont enfin maîtrisées mais le déficit pour 2009 est majeur : 20 milliards d’euros.
L’Assurance Maladie continue pourtant d’exister et cela ne relève pas du domaine du surnaturel. Il existe des explications rationnelles. La première d’entre elles est qu’il est difficile de trouver un système alternatif. L’Assurance Maladie, c’est 152 milliards d’euros, 10% du produit intérieur brut français, l’équivalent économique des secteurs du bâtiment, de l’hôtellerie-restauration et des transports. Imaginer ce que provoquerait la disparition d’un seul de ces trois secteurs !
Les pouvoirs publics soutiennent la construction (mécanisme de défiscalisation), l’hôtellerie (baisse de la TVA). Pourquoi pas l’Assurance Maladie ?
Dijon-Santé.fr : Qu’est ce qui permet aux Français d’être aujourd’hui encore protégés ?
Pierre ROUTHIER : L’Assurance Maladie, c’est un des éléments majeurs du pacte républicain de 1945 sur lequel nous vivons encore aujourd’hui. Il n’y a pas une seule réforme et, au fil des années, il y en a eu beaucoup. Toutes se sont faites au nom de la préservation de notre système de santé. La sécurité sociale, certains la vilipendent mais elle reste un élément majeur de la redistribution entre les bien portants et les malades, donc un facteur incontournable de l’égalité entre les citoyens. C’est ainsi la mise en oeuvre de l’un des trois éléments de la devise de la République. C’est aussi la matérialisation concrète de la fraternité. Ce sont des éléments de fond qui protègent encore les français.
Dijon-Santé.fr : Peuvent ils se considérer comme « chanceux », vis à vis des autres pays d’Europe ou du Monde ?
Pierre ROUTHIER : Pour les pays du tiers monde ou émergents, la question ne se pose pas tant l’écart est gigantesque. Parmi les pays développés, la France est parmi ceux où la contribution individuelle ou le reste à charge est des plus limité notamment dès que la maladie devient grave ou chronique. Dans ces cas là, l’Assurance Maladie assure à 100%. Les Etats-Unis ont les dépenses de santé les plus élevées du monde, la recherche médicale la plus performante et le système le plus injuste puisqu’il exclut 50 millions d’américains de toute protection maladie. La réforme de la politique de Santé a été une des raisons majeures de l’arrivée au pouvoir du Président Obama. Les énormes résistances rencontrées pour sa mise en place ne peuvent que nous conforter dans l’idée de conserver et de conforter notre système en France. C’est effectivement une chance.
Dijon-Santé.fr : Comment voyez vous l’avenir de la Sécurité Sociale ? Les Français seront ils toujours protégés, mieux ou moins bien ?
Pierre ROUTHIER : Il ne sera pas toujours possible de transférer la dette sur les générations futures. D’abord parce que les règles relatives au déficit des états sont en train de se renforcer pour éviter des situations comme celle de la Grèce ou de l’Irlande. Ensuite et surtout parce que la pacte républicain, s’il suppose la solidarité, ne résisterait pas si une génération devait à la fois payer sa propre couverture sociale et les dettes laissées par ses aînés. Quelque soit la place de la santé dans le débat des prochaines élections présidentielles, il y aura une nouvelle réforme. Celle-ci ne pourra pas se résumer à des strictes mesures d’économies financières.
Il faudra :
• Se donner les moyens de maîtriser nos dépenses de médicaments. Rien ne justifie que l’on consomme cinq fois plus de psychotropes que les anglais, deux fois plus d’antibiotiques que les Hollandais, les exemples sont nombreux.
• Couper les liens entre les aspects économiques du médicament et leur niveau de remboursement. Le maintien de l’emploi voire le chantage à l’emploi pèse quelque fois plus que la qualité intrinsèque d’un médicament. L’affaire du Médiator illustre bien les hésitations dommageables qui ont précédé le retrait très tardif du marché de ce médicament.
• Restructurer rapidement le tissu hospitalier pour sortir des drames causés par les fermetures ici d’une maternité, là d’un bloc opératoire. Les Français sont capables de comprendre ce que sont les impératifs d’une bonne médecine avec un coût supportable par le système. Il est urgent de leur en parler et d’expliquer.
• Se doter d’un plan d’action concernant les maladies chroniques. 5% de la population concentre 60% des dépenses. Il faut au moins que ces dépenses soient plus efficaces.
Deux exemples :
o Le diabète, avec la cécité et les amputations. Les effroyables conséquences ne sont pas inévitables. C’est une priorité de santé publique qu’il faut investir au profit de chaque malade et de toute la société.
o La dialyse rénale (qui met le malade dans des conditions de vie difficiles etn irréversibles) : elle peut être prévenue, et les capacités du rein peuvent être préservées si l’on intervient de façon précoce.
• Travailler à la qualité des soins et à de nouvelles formes de rémunération des professionnels de santé en ville comme à l’hôpital, plus incitatives et reconnaissantes des performances réelles et moins encourageantes pour les rentes de situation. Les Français peuvent continuer, à l’avenir, à être bien protégés s’ils acceptent de se responsabiliser sur leurs dépenses et sur leur santé.
Les décideurs, l’Etat – au premier chef, l’Assurance Maladie – dans son domaine de compétence, doivent construire les outils de demain : offre de soins articulée entre ville et hôpital, plan permettant à chacun de devenir acteur de sa maladie quand elle est chronique, plan rigoureux de maîtrise des dépenses. Le système ne doit surtout pas être maintenu à l’identique, tout n’est pas légitime partout mais tous les services de santé doivent être accessibles à tous. Il ne s’agit pas de dépenser moins mais de dépenser mieux, c’est un formidable défi.
Dijon-Santé.fr : Aujourd’hui dans votre rôle de Directeur de l’Assurance Maladie de la Côte d’Or, que pensez vous de la médecine en ligne ?
Pierre ROUTHIER : Ceux qui la présentent comme une alternative aux déserts médicaux se trompent. La télémédecine n’a aujourd’hui qu’une vocation bien plus limitée. Il s’agit d’obtenir en instantané un avis d’expert permettant de conforter le diagnostic et donc d’ajuster au mieux des intérêts du patient, le traitement et le lieu où il doit être pratiqué. Demain, la transmission de données de santé (comme par exemple un taux de glycémie transmis par voie dématérialisée) permettra au médecin d’ajuster le traitement du malade où qu’il soit dans le monde. Donc la télémédecine, c’est plus de sécurité pour les malades, plus de tranquillité, une vraie perspective de facilité de vie. Mais ce n’est en aucun cas le substitut de la consultation en face à face avec examen clinique.

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Commentaires

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  • castéran marie le 16 décembre 2010 à 13:28

    article très intéressant, où je partage l’avis du directeur.
    l’amélioration des soins et des techniques sont en constantes évolutions, mais permet aussi aux gents de vivre mieux et plus longtemps, tout ça engendre de nouvelles dépenses forcément celà à un cout…
    Un trou de 20 milliars sur un budget de 150 équivaut à environ 15%, quelle entreprise n’a pas aujourd’hui 15% de ses fonds ou investissements en négatif sur son bilan annuel…le réduire est bien sur le conseil à suivre.

  • YVRAY Robert le 24 décembre 2010 à 7:42

    Beaucoup de critiques à propos de notre Sécurité Sociale, souvent justifiées, mais il est important de saluer le travail, en particulier de gens comme M. Pierre ROUTHIER et de son équipe.
    En tant que responsable associatif(association de diabétiques)nous nous connaissons depuis très longtemps et avons collaboré à des actions destinées au mieux vivre et à la prévention des complications pour les diabètiques,avec le projet SOPHIA ou le dépistage du diabète en Bourgogne, notamment.
    Sans le soutien de la CPAM et anciennement de l’URCAM, il aurait été impossible d’imaginer réussir.
    Malgré les difficultés, la CPAM continue d’agir ( exemple: ateliers d’éducation thérapeuthique pour les diabètiques)
    Je rejoins la reflexion de M.ROUTHIER sur la responsabilisation des patients car entendre comme nous l’entendons souvent dans nos associations  » J’y ai droit » est un comportemnt révoltant.
    Je ne peux admettre, que sauf cas spécifique, un diabètique qui sort du CHU pour un bilan, exige un VSL pour rentrer car il y a droit.
    A nous, les patients, d’agir pour conserver ce que nos parents ont obtenus.