Transgenres: les frontières s’ouvrent, prémices d’une révolution?

Par Eric Françonnet le 4 décembre 2014

Le 10 mai 2014, à Copenhague, où se tient la 59e édition du concours de l’Eurovision, le futur gagnant va être couronné sur scène. Mais à en juger par sa voix de diva et son look hyper-glamour, ne serait-ce pas plutôt une gagnante? Conchita Wurst, qui représente l’Autriche, rend les frontières du genre perméables (cheveux longs mais barbe de trois jours entre autre) et émet un signal fort de modernité au cœur du télé-crochet le plus ringard du monde. Ce travesti assumant son homosexualité accède enfin à une notoriété lui permettant une surexposition médiatique et de s’ériger en porte-drapeau des transgenres.

Une poignée de jours plus tard, aux États-Unis, un événement semblable allait également faire sensation en dépoussiérant un journal à la notoriété bien assise sur le socle des années. Time dédiait sa couverture -grande première historique- à une égérie transgenre, l’actrice Laverne Cox, assortie d’un titre phare : “The transgender tipping point » (“Le point de bascule pour les transgenres”). Sur sa page Facebook, la comédienne commente cette gifle médiatique : “Je réalise que tout cela dépasse largement mon propre cas et que nous entrons dans une phase de changement dans l’histoire de notre nation, où il n’est plus acceptable pour les trans de vivre stigmatisés, ridiculisés, criminalisés et méconnus.”

A l’Eurovision, dans les médias mainstream ou sur le net, les transgenres sont de plus en plus présents et occupent désormais un espace visible que nul ne peut ignorer.

Cependant, en sus de cette émergence médiatique, le plus important à souligner est peut-être le discours lui aussi en pleine phase de tonalité et de contenu différents sur les transgenres. Vincent Paolo Villano, directeur américain du National Center for Transgender Equality analyse ainsi cette nouveauté : « Il y a encore quelques années, les seuls transgenres que vous pouviez voir dans les médias étaient des malades, des victimes de violences, des prostitués. On commence enfin à sortir de ce prisme négatif grâce à des personnes comme Laverne Cox, qui sont des femmes plus indépendantes, qui ont du pouvoir.”

Surtout, ils se sont extirpés du carcan des débats médicaux et sexuels auxquels ils ont longtemps été soumis. Quand on interroge Ts Madison, la question du sexe n’a plus l’apanage de la discussion : elle dit qu’elle est simplement, totalement décomplexée, une femme avec une bite (elle en a même fait un coup de poing marketing en lançant sur le marché un T-shirt : “She’s got a dick”) qui souhaite fermement avoir les mêmes droits fondamentaux que les autres.

Si les progrès sont notables, ces questions de droits sont encore en instance d’acceptation totale et de législation souhaitée par les institutions étatiques.

“Bien sûr que la couverture de Time est un événement important pour nous, mais elle rend encore plus insupportable l’inaction politique, souligne Ts Madison. Les transgenres continuent de souffrir de discriminations et je ne suis pas sûre qu’une couverture puisse y changer quelque chose. Par exemple, dans plusieurs États américains, on se bat pour faire annuler des décrets qui empêchent les transgenres d’accéder à certains soins médicaux, mais ça personne n’en parle. Personne ne parle du chômage qui affecte les trans, ni de la situation vécue par les trans de couleur, victimes de violences raciales. Les médias négligent leur réalité quotidienne.”

La révolution est indéniablement en marche mais souhaitons qu’elle s’inscrive dans la durée pour accoucher enfin d’une égalité tant désirée.

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